Ruminer les ruminants

29/3/2023
Question du public

Petite devinette : outre le fait que ce soient tous des mammifères, quel est le point commun entre une girafe, un mouton, un kangourou, un orignal et un dromadaire? Alors... Alors... Et bien ils sont tous capables de ruminer! Mais attention, tous les animaux capables de ruminer ne sont pas pour autant des ruminants! Quoi?! Scandale! Nous aurait-on menti?! Je t’avoue que moi aussi j’étais un peu perdu. Mais tu vas voir, ce n’est pas très compliqué.

Un wallaby qui rumine

Tout ce qui rumine n’est pas un ruminant

Ruminer désigne l’action d'avaler des végétaux presque sans les mâcher, puis de les conserver un certain temps dans des compartiments associés à l’estomac. Ces petits amas de végétaux ingérés, également appelés bols alimentaires, seront ensuite régurgités pour être mastiqués une nouvelle fois puis réavalés. Ce processus peut être répété jusqu’à 60 fois chez certains animaux! Autant de fois que nécessaire pour que les particules alimentaires atteignent la taille requise pour pouvoir continuer leur parcours le long du système digestif.

Chez les mammifères, cette adaptation est apparue plusieurs fois et de manière indépendante au cours de l’évolution. On appelle cela la convergence évolutive. En effet, la capacité à ruminer a été développée tour à tour chez les marsupiaux (les kangourous), les camélidés (on parle des dromadaires, chameaux, lamas, alpagas, etc.) et les fameux ruminants! Ce dernier groupe comprend les bovidés (donc les vaches, chèvres, moutons, antilopes, gazelles, etc.), les cervidés (nos cerfs, orignaux, caribous et leurs cousins), les girafidés (soit les girafes et les okapis), les antilocapridés (soit les antilocapres a.k.a. les antilopes d’Amérique), les tragulidés (les chevrotains) et les moschidés (les chevrotains porte-musc).  

Un orignal qui s'apprête à ruminer.

Les scientifiques pensent que cet avantage évolutif a été développé car il permet à ces animaux de limiter le temps d'ingestion de leur nourriture. Le fait que la mastication des aliments puisse être différée confère un avantage conséquent à ces herbivores, constamment sous la menace d’un potentiel prédateur. De plus, cette technique leur permet également d’accéder à de la nourriture difficilement assimilable par les autres animaux. On pense ici au fourrage comme la paille, les tiges ou encore les graminées sèches qui possèdent une teneur élevée en fibres et en parois lignifiée, donc plus difficile à digérer.

Mais alors, me diras-tu, quelle est la différence entre ces ruminants et les animaux qui ruminent? On y arrive!

Zoom sur le système digestif

La différence essentielle entre ces trois groupes (les marsupiaux, les camélidés et les ruminants) se fait au niveau de leur système digestif. En effet, la particularité des animaux qui ruminent est de posséder plusieurs estomacs, ou plus précisément, plusieurs chambres ou compartiments dédiés à la digestion des aliments. Les marsupiaux en possèdent deux, les camélidés trois et les ruminants quatre! Voyons comment cela fonctionne.

Si nous prenons l’exemple d’une vache, les quatre chambres présentes dans son appareil digestif sont le rumen (ou panse), le réticulum (ou bonnet), l’omasum (ou feuillet) et l’abomasum (ou caillette). Au niveau de leurs fonctions, le rumen, le réticulum et l’omasum peuvent être considérés comme des pré-estomacs, tandis que l’abomasum serait l’équivalent de notre estomac à nous.  

Le rumen (A), le reticulum (B), l'omasum (C) et l'abomasum (D) d'une vache

Le rumen

La nourriture avalée arrive donc d’abord dans le rumen, qui est directement connecté à l’œsophage. Ce grand compartiment représente à lui seul 90 % du volume des pré-estomacs et avoisine les 150 L chez une vache adulte! Ici, les aliments fermentent, c'est-à-dire que le sucre et l’amidon qu’ils contiennent sont dégradés en fines particules sous l’action des milliards de bactéries, champignons et protozoaires qui habitent le rumen. Ce procédé permet de produire de l’énergie à la fois pour notre vache, mais aussi pour tous les microorganismes qui vivent dans sa panse. Pour la vache, elle prend la forme d’acides gras volatils qui sont directement absorbés dans son sang à travers la paroi du rumen. Ils représentent 70 à 80 % de l’énergie totale ingérée par le ruminant. Pour les microorganismes, l’énergie leur parvient sous forme d’adénosine triphosphate (ou ATP pour les intimes), une molécule chargée de transporter l’énergie vers les cellules. On y reviendra plus en détail dans un autre article.

Mais ce n’est pas tout! Ces microorganismes présents dans le rumen confèrent également aux animaux hôtes le super pouvoir de digérer facilement la cellulose, la molécule présente dans la paroi des cellules végétales, ce que peu d’autres mammifères sont capables de faire. Cette relation entre le ruminant et les microorganismes vivants dans son estomac peut donc être qualifiée de mutualiste, c’est-à-dire qu’elle est mutuellement bénéfique pour tous les individus. D’un côté, le ruminant offre de la nourriture et un environnement parfait pour le développement des microorganismes. En contrepartie, ces derniers lui confèrent la capacité de digérer la cellulose et lui fournissent de l’énergie. Ça donnerait presque envie de pouvoir ruminer tout ça!

Mais le processus de digestion ne s’arrête pas là, ce n’est en fait que le début. Après avoir fermenté dans le rumen, les aliments sont régurgités sous forme de bouillie fermentée, puis longuement mastiqués, imprégnés de salive et ravalés. Tout d’un coup, ça ne donne plus tant envie de ruminer...

Le réticulum

Le réticulum est un compartiment annexe à la panse qui sert à stocker les aliments les plus difficiles à digérer, en agissant un peu comme une passoire. En effet, ces aliments devront être régurgités et mastiqués plusieurs fois afin d’atteindre la taille nécessaire pour pouvoir traverser le réticulum et avancer dans le système digestif.

L’omasum

Après son passage par le rumen et le réticulum, le bol alimentaire qui a maintenant été fermenté et ravalé à plusieurs reprises arrive dans l'omasum. Dans ce troisième pré-estomac, la bouillie est déshydratée. Ainsi, au contact des nombreuses lames parallèles couvertes de muqueuse qui tapissent sa paroi, l’eau, les sels minéraux et une partie des nutriments qui composent la bouillie pourront être absorbés dans le sang.

L’abomasum

L’abomasum, ou estomac véritable, est la destination finale des aliments dans le processus digestif. Il permet à la vache de retirer les derniers nutriments présents dans le bol alimentaire. Ici, la digestion se fait grâce aux enzymes qui y sont sécrétés, comme dans notre propre estomac!

Une fois cette dernière étape du processus digestif complétée, la matière restante non digérée termine sa course dans l’intestin avant d’être rejetée par l’animal. Ce cycle complet de digestion aura pris environ... 3 jours après la première ingestion de l’aliment! Ça fait long à attendre avant de pouvoir aller se baigner...

Les ruminants et les changements climatiques

« Il faut manger moins de viande rouge! » « Manger moins de viande pour sauver le climat! » « L’élevage est source de gaz à effet de serre! » Ce sont des phrases que l’on entend de plus en plus souvent, mais quel peut bien être le lien entre nos beaux ruminants et la fonte de la banquise?

Il faut savoir que les changements climatiques sont causés par une accumulation de gaz à effet de serre (GES) dans notre atmosphère. Ces gaz ont pour effet d’emprisonner la chaleur réémise par la Terre et donc de réchauffer la température moyenne à sa surface. Les trois principaux GES sont le méthane, le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau, même s’il en existe de nombreux autres. Dans le cas de nos ruminants, le gaz à effet de serre qui nous intéresse est le méthane et nous allons voir pourquoi.  

À lui seul, ce gaz représente 15 % de nos émissions de GES, dont la moitié est produite par le secteur agricole. Certes, il est émis en plus faible quantité que le dioxyde de carbone, cependant son pouvoir d’emprisonnement de la chaleur est environ 30 fois supérieur!  

L’autre particularité du méthane est qu'il se forme lors de la dégradation de la matière organique dans un environnement anaérobique, c’est-à-dire sans oxygène, comme par exemple dans un marais ou... dans l’estomac d’un ruminant! Et oui, tu comprends maintenant, les ruminants et principalement les animaux d’élevage comme les vaches, sont une source conséquente de méthane! En effet, le processus de fermentation qui a lieu dans le rumen se fait dans des conditions anaérobiques et produit donc énormément de méthane. Ce méthane est ensuite expulsé sous forme de rots lors de la régurgitation des aliments, mais aussi sous forme de flatulences. On le retrouve également en plus petite quantité dans ses excréments.

Les ruminants de parfaits boucs émissaires

Ruminants... boucs émissaires... Tu la comprends? Pas mal hein?!

Cependant, il ne faut pas rejeter toute la faute de nos émissions sur nos ruminants! Même si le méthane produit par les animaux d’élevage est un processus naturel qui se déroule lors de leur digestion, il n’en reste pas moins considéré comme une source humaine de GES au même titre que les voitures ou les avions. En effet, c'est notre consommation de viande et de produits laitiers qui impacte directement le nombre de ruminants que nous décidons d’élever. Donc, plus nous en consommons, plus nos émissions augmentent.  

Un p'tit rot de ruminant!

Il est bon de noter que des groupes de chercheurs étudient actuellement des moyens pour réduire l’impact des ruminants en termes de GES, sans pour autant avoir à baisser notre consommation. Certains ont d’ailleurs pu établir un lien entre le type de nourriture ingéré par les ruminants et leurs émissions de méthane. Par exemple, la digestion d’aliments plus riches en fibres comme le foin produirait plus de méthane que la digestion du maïs. D’autres scientifiques ont même constaté que l’ajout d’algues à l’alimentation des vaches permettrait de réduire leurs émissions de GES de moitié... Encore faut-il que les vaches acceptent de manger des algues!  

Mais bon, en attendant une solution miracle qui ne viendra peut-être jamais, manger une portion de viande en moins par semaine est un petit sacrifice à la portée de tous, qui pourrait avoir des conséquences très bénéfiques!

Par Gabriel, éducateur-naturaliste

Sources images : Pixabay, Pixabay, GUEPE (tiré de Pearson Scott Foresman), Pixabay, Pixabay

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