La légende des Spirit bears

22/10/2020
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C’est l’heure d’allumer les chandelles, éteindre les lumières parce qu’on a une légende à te conter.  

Ça se passe il y a centaines de milliers d’années, alors que le territoire canadien est complètement couvert par un immense glacier, probablement le même méga inlandsis qui a créé la mer de Champlain. Zoom in à l’ouest des Rockies, où on trouve aujourd’hui des vastes forêts, remplies d’arbres gigantesques, tellement grands qu’on croirait qu’ils touchent le ciel. On trouvait là un grand corbeau, complètement noir. C’était le Créateur. (Avant d’aller plus loin, on voulait simplement spécifier que cette légende est tirée du folklore des Premières Nations Kitasoo et T’simshian qu’on retrouve en Colombie-Britannique. On n’invente rien.) Alors, ledit Corbeau est un jour descendu du ciel pour voir ce que cette planète avait à offrir. Lorsque le Corbeau a vu que tout était couvert de blanc, il décida de rester sur cette terre. Il était attiré par son contraire. Lui, si noir et cette terre si blanche, si pure. Les années passèrent. Puis, le Corbeau, bien qu’émerveillé par tout ce blanc se lassa de la glace. Il avait froid. Il avait faim. Il était seul. Il était misérable. Face à sa misère, l’oiseau décida de créer le Vert. Lentement la neige et la glace ont fait place à une immensité couverte de verdure. Le Corbeau demanda à ses frères célestes de le rejoindre : l’ours, le castor, le loup… Et il inventa les autres animaux. Il vola ensuite le feu du Soleil pour tenir au chaud sa toute dernière création, l’Humain. Le Corbeau avait tout créé. Mais… il restait insatisfait.  

Quelque chose manquait dans cet immense et beau paysage verdoyant et vivant. Il était nostalgique. Il voulait quelque chose pour lui rappeler l’époque où son monde était couvert de glace, la longue période blanche d’avant. Alors, il alla chercher l’Ours noir, le gardien des rêves, pour lui venir en aide. Il n’avait pas à le chercher bien loin, car l’Ours se tenait toujours dans une constellation dans le ciel étoilé. (Oui, on parle ici de la Grande Ourse.) Alors, le Corbeau vola jusqu’à l’Ours, dans la nuit et il fit un pacte avec lui. L’Ours avait l’assurance du Corbeau qu’il pourrait vivre libre et en sécurité dans la forêt aux arbres géants s’il laissait le Corbeau donné un pelage complétement blanc à un ours sur dix.  

Ces ours au pelage blanc, dans la forêt sombre des montagnes, étaient un rappel pour le Corbeau du temps, doux et misérable, qu’il avait eu lors de la longue période blanche d’avant. On les appelle les Moksgm’ol, ce qui signifie ours blanc, fantôme d’une ère disparue.  

Quelle histoire! Évidemment, il y a une explication un peu plus rationnelle que celle-ci pour expliquer la présence de ces ours blancs, qu’on appelle Spirit bears dans la langue de Shakespeare, un clin d’œil à cette légende autochtone. Ces ours font en réalité, partie d’une sous-espèce de l’ours noir, les ours Kermode. On retrouve ces ours (qui ont de manière générale, le pelage foncé, presque noir) sur la côte Ouest du Canada et des États-Unis. C’est d’ailleurs l’emblème animal des Britanno-Colombiens.

Bien que la majorité des individus de cette sous-espèce aient le poil foncé, on trouve sur leur territoire, entre 100 et 500 ours complètement blancs (attention, personne ne s’entend vraiment sur le nombre exact d’individus)! Ils vaguent à leurs occupations sur des îles au large des côtes canadiennes. Ces ours ne sont pas albinos*, puisqu’on retrouve des pigments colorés (ou foncés) sur leur peau et dans leurs yeux. Le phénomène en est un de génétique où une mutation d’un gène fait en sorte que la mélanine** est produite en très faible quantité.*** Ce ne sont pas non plus des ours polaires, qui eux, ont le poil naturellement blanc. Leurs gènes sont faits comme ça.

Bien que leur look soit hors du commun, les Spirit bears sont des nounours comme les autres. Ils sont omnivores : ils se régalent d’herbe, de baies et de poissons (principalement de saumons). Ils hibernent. On les chasse. Et leur habitat est en voie de disparition ou déjà largement détruit pour y installer des pipelines. Bien que les ours Kermode ne soient pas une espèce menacée, des efforts considérables de conservation sont mis en place pour maintenir ses populations, dû à sa grande valeur culturelle. Et on va se le dire, c’est pas mal hot d’avoir des fantômes qui parcourent nos forêts. Non?

P.S. Paul Nicklen, photographe canadien extraordinaire, a fait une série magnifique sur ces créatures. C’est à voir.

NOTES

* Albinos ou albinisme, ça veut dire quoi? C’est la condition des individus qui ont une anomalie génétique résultat en une absence totale de pigment dans leur corps.  

** On appelle « mélanine », les pigments qui colorent la couche externe des organismes (le tégument). On n’a pas utilisé le mot « peau » ici parce que la mélanine influence aussi la teinte des poils, des carapaces, des cheveux, des plumes, des ongles, des écailles… Tu vois le genre.  

*** C’est le même phénomène, mais inversé, qu’on observe chez les écureuils gris. On trouve dans leurs populations des individus complètement noir. Dans un tel cas, la mélanine est produite en plus grande quantité. Cette mutation serait probablement une adaptation aux variations de température. On t’en glisse un mot ici.  

Par Anne-Frédérique, éducatrice-naturaliste senior

Sources images : pxHere, Maximilian Helm

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